La « main invisible » et l’économie « de marché« , c’est quoi exactement?
« Main invisible » est le surnom donné par un philosophe-économiste (Adam Smith) aux actions humaines qui sont, le plus souvent, il faut bien l’admettre, guidées par l’intérêt personnel, mais qui, malgré cela, et grâce à la main invisible, contribuent à la richesse et au bien-être de tous.
En quelque sorte, l’addition des égoïsmes profite à tout le monde. Ou bien: ce qui semble être un ensemble hétéroclite de profits individuels sert en fait la collectivité. Ou bien encore: un tas de mauvaises intentions, moralement parlant, aboutit à un progrès collectif. Ce ne sont pas les mauvaises intentions qui comptent, mais le bon résultat qui en résulte pour la société. Voilà, en résumé, ce que signifie la main invisible. Elle transforme tout de façon invisible, mais le résultat global est positif et visible.
Et l’économie de marché, celle dans laquelle nous vivons?
C’est comme le marché en plein air: il y a une multitude d’étals et de produits offerts à des gens qui choisissent, qui achètent ou n’achètent pas, en fonction de leurs besoins et de leurs envies. Mais aussi en fonction de ce qu’ils gagnent. C’est le règne de l’offre et de la demande. Les clients potentiels (les consommateurs) demandent des biens et des services (la demande). Les vendeurs (producteurs et intermédiaires) les proposent, les fournissent (l’offre).
Cette offre et cette demande s’organisent spontanément grâce à la main invisible dont nous venons de parler.
Le contraire de tout cela, c’est le communisme, ou plutôt c’était, parce que le communisme s’est effondré à la fin du siècle dernier. Il prônait l’intérêt général visible et dirigé, plutôt qu’une somme d’intérêts individuels libres et s’harmonisant grâce à la main invisible. Il ne voyait qu’une main, la plus visible.
L’intention du communisme était bonne, mais l’intention seulement. Le résultat n’a jamais été à la hauteur des prétentions. Mieux vaut un paradis pavé de mauvaises intentions (l’économie de marché) qu’un enfer pavé de bonnes (le communisme). Les êtres humains ne sont pas bons. Il est plus judicieux d’accepter cette réalité que de faire croire que les hommes (et les femmes) sont généreux et altruistes. C’est ce qu’avait découvert Adam Smith au 18ème siècle: adaptez-vous aux êtres humains tels qu’ils sont et laissez-les satisfaire leurs désirs personnels, ce qui permettra d’obtenir une somme collective acceptable.
Si l’on regarde bien cette main invisible et l’autre qui ne l’est pas, on s’aperçoit que cela ressemble fort à nos deux mains: notre main droite, qui sert à tout, au point qu’on ne l’aperçoit même plus, et notre main gauche, dont on ne sait pas quoi faire, sauf quand on est gaucher (auquel cas, la situation est inverse). La main droite nous permet de tout faire, tout acheter, tout échanger, quand et comme nous le voulons. C’est la main de la liberté. Elle est partout à la fois, mais reste légère, transparente, invisible. La main gauche, elle, n’est que trop visible: elle permet de se mêler de tout, de taper sur tout, y compris sur la main droite. La main gauche, c’est l’Etat qui décide, qui impose et restreint nombre de nos libertés.
Pour les adeptes de la main gauche, la main droite est nuisible, parce qu’elle est mue par l’égoïsme, celui-là même qui est, en fait, le moteur de l’économie. On se demande d’ailleurs pourquoi ils n’ont pas envisagé de nous la couper, cette main droite. Selon eux, l’économie de marché est responsable de tous les maux de la terre. Ils ne savent pas comment et par quoi la remplacer, ni surtout s’ils auraient la faculté de la remplacer (à supposer que quelqu’un les consulte à ce sujet). Mais qu’importe: ils attendent ce qu’ils appellent « le grand soir », un soir révolutionnaire, lequel changerait tout. Quoi et comment, mystère. On ferait une révolution comme celle qui a complètement raté au 20ème siècle. Mais, cette fois-ci, ça marcherait, paraît-il. Qui les croira encore?
Revenons donc à notre main droite, la seule dont tout le monde sait vraiment se servir.
Cette main droite ouvre le marché, comme on ouvre le bal. La main gauche ferme le marché, quitte à éteindre les lumières du bal. La main droite tient l’outil et le porte-monnaie. La main gauche tient le martinet, et parfois même le fouet. Il n’est que de lire la signification du mot « droite » en latin: « dextra« , main droite, adroite, emblème de l’amitié. Gauche, en latin, c’est « sinistra« , sinistre. En anglais, gauche, c’est « left« , laissé, abandonné.
Les droitiers sont favorables à une économie qui permet d’acheter ce que l’on veut, mais qui conduit aussi à imaginer des choses nouvelles à faire et à vendre. On dit d’eux qu’ils « sont de droite« .
Les gauchers, eux, essaient de retenir la main droite, et même de retenir les mains droites de tout le monde. C’est tout juste si leur main gauche ne sert pas uniquement à retenir la main droite … des autres, évidemment. On dit d’eux qu’ils « sont de gauche« .
Pour revenir aux droitiers, on observe que leur main droite est tellement habile que nombre d’entre eux estiment pouvoir se passer de la main gauche.
En fait, il faut bien dire que c’est exagéré: il s’agit de droitiers qui ne savent pas utiliser la main gauche en tant que complément utile à leur main droite.
Puisqu’on a deux mains, le mieux serait évidemment d’utiliser les deux. D’être ambidextre, en quelque sorte. Un peu d’Etat, beaucoup de marché.
Quant aux gauchers purs, ceux qui ne peuvent absolument pas utiliser une autre main que la gauche, qu’ils ne désespèrent pas: ils continueront de former une minorité active qui saura faire respecter ses droits à l’égalité des mains.
L’égalité est la sauce que prépare et touille le mieux la main gauche. C’est une sauce industrielle, mais elle ne coûte pas cher … à ceux qui la servent à longueur de repas.

Ariel Alexandre

Contrepoint

« Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais plutôt du soin qu’ils apportent à la recherche de leur propre intérêt. Nous ne nous en remettons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme…

Tout pour nous et rien pour les autres, voilà la vile maxime qui paraît avoir été dans tous les âges, celle des maîtres de l’espèce humaine…

L’individu ne pense qu’à son propre gain; en cela, comme dans beaucoup d’autres cas, il est conduit par une main invisible à remplir une fin qui n’entre nullement dans ses intentions; et ce n’est pas toujours ce qu’il y a de plus mal pour la société, que cette fin n’entre pour rien dans ses intentions. Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il travaille souvent d’une manière bien plus efficace pour l’intérêt de la société, que s’il avait réellement pour but d’y travailler… »

Adam Smith, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776).

Avec une ou deux mains ?

3 pesnées sur “Avec une ou deux mains ?

  • 28 mai 2015 à 18 h 34 min
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    L’égoïsme, qui constitue la base de l’économie de marché, a même donné
    son nom à un parfum. C’est dire à quel point le système «libéral» empeste
    l’atmosphère! Une telle économie n’a pas été créée pour nous. C’est nous qui
    sommes contraints de vivre pour elle.
    L’Ecclésiaste (dans la Bible) disait déjà il y a 2.300 ans: «S’il y a beaucoup de
    choses, il y a beaucoup de vanités. Quel avantage en revient-il à l’homme?»
    Le Produit Intérieur Brut (PIB) est, en effet, très brut. Le contenant de ce que
    l’on fait est sophistiqué (machines, logiciels, écriture, etc.), mais le contenu
    (fast food, téléréalité, séries américaines) est ridicule, dérisoire.
    A l’inverse de ce qu’écrivait Adam Smith, citons Jean-Jacques Rousseau:
    «On a tout avec de l’argent, hormis des moeurs et des citoyens». N’est-il pas
    absurde de devoir consommer le plus possible pour faire tourner la machine
    productrice? Imaginez ce qui se passerait si l’enchaînement «production,
    vente, consommation, impôts» se brisait. On assisterait à la disparition des
    services publics, au chômage de masse, à une nouvelle révolution.
    L’économie de marché ressemble fort au jeu de la barbichette: je te tiens, tu
    me tiens par la barbichette. La barbichette des producteurs, celle des
    consommateurs, et toutes les autres barbichettes. Chacun tient l’autre.
    Chacun dépend de l’autre. Vous vouliez la liberté! En fait, vous avez créé la
    dépendance de tous.

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  • 21 mai 2015 à 9 h 59 min
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    L’admirable habileté dialectique de notre ami Ariel, la fluidité de son style et de ses enchaînements, enfin la délectable tonalité de sa démonstration réussiraient presque à faire lâcher prise à mes réticences. Mais mon scepticisme à l’égard des vertus du libéralisme demeure. Vent debout.
    Je crois que le libéralisme sauvage est semblable à la voix des aéroports et aux sirènes d’Ulysse. La grande voile de la liberté qu’elle fait claquer à l’appel du vent du large, cache avec une hypocrisie consommée les galériens et les négriers,

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    • 22 mai 2015 à 14 h 55 min
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      C’est fort joliment dit … Mais je note que, dans quelque système que nous vivions (collectiviste, libéral ou dictatorial), la galère demeure, de même qu’un nombre restreint de négriers. Ne dit-on pas « galérer » au travail, même chez nous? Ne dit-on pas « traite des blanches », même chez nous? L’exploitation des enfants, des femmes, des très pauvres , tout cela, on le trouve surtout dans les économies de type désorganisé, ou mafieux, ou sous-développé.
      Le libéralisme exige des pare-feux et des règles démocratiques, du moins dans les pays occidentaux, qui constituaient le coeur de mon sujet. Le marché n’est sauvage que dans les pays de sauvages. Mais il est vrai aussi que le pur marché n’est pas pur et sans taches. N’est-il pas fondé sur nos vices et notre égoïsme, comme le disaient déjà Bernard Mandeville en 1705, dans sa « Fable des abeilles », puis Adam Smith en 1776 dans son livre sur « La nature et les causes de la richesse des nations ».
      « Les vices privés, laissés à leur libre cours, assurent le bien public ». C’est immoral, mais c’est ainsi. Mieux vaut une immoralité personnelle reconnue et canalisée, qu’une morale partagée n’aboutissant à aucune création de richesses.
      Mais ça se discute. Et depuis fort longtemps!

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