LA PART DES ANGES

 

 Alors que le débat politique devant  le constat de faillite du libéralisme sauvage devrait trouver une vigueur nouvelle, la parole  est confisquée par les grands prêtres de l’économie. Le vulgum pecus est bouche bée devant l’herméneutique des vaticinations.  La menace  partout proférée d’une immanence des châtiments confère à ces imprécateurs un statut de demi-dieux. Par  crainte de l’anathème et de la catastrophe, – ou peut-être plus simplement sous le poids de ce vieux complexe du gueux devant son suzerain-, la tête du profane   dès lors s’incline.

C’est  vêtu du sac et de la corde que le petit interpelle le gros, comme Sganarelle  interpelle son maître qui ne croit qu’à une chose, c’est que « deux et deux sont quatre ». L’homme, – pourrait interroger le valet-, ne peut-il donc obéir qu’aux lois exclusives de la mathématique et aux réactions terrorisantes des croissances exponentielles ?

Nous osons croire que l’économie peut avoir d’autres vertus que celles du profit pour le profit, non seulement dans sa finalité mais  aussi dans les modalités de son développement. Si l’économie est l’art de gérer l’industrie des hommes, elle nous parait alors devoir servir une vision de l’homme et  un projet. Au prétexte que celui des uns profite aux autres, l’enrichissement est globalement devenu une fin en soi. Ses modes d’accès, sa gestion et sa répartition devraient pourtant faire l’objet d’une réflexion liminaire radicale. L’économie est un des outils du politique auquel la première dans chaque secteur d’activité doit apporter à la seconde son éclairage et ses moyens. Or ce rapport est inversé, on voit bien que le politique lui est asservi. Nous plaidons pour un équilibre concerté, fondé sur un système de valeurs. Nous donnerons au nôtre par facilité oratoire cette désuète appellation d’humanisme, qu’à travers le sujet qui nous occupe, nous pourrions traduire  simplement par souci premier de l’homme. Facilité oratoire fragile à l’examen car aussitôt nous tiraillent d’autres questionnements plus fondamentaux, – qui ne sont pas si étrangers à la réflexion sur les affaires économiques-, ils concernent les contours mutants de la nature humaine,

Du pillage en vertu des lois du droit public

 Nous faisons ce constat que  les grands déséquilibres de richesse sont une des  causes majeures  des torsions et tourments du monde actuel. Qu’en tout état de cause leur distribution inique  ne contribue en rien à atténuer l’infortune, la misère et souvent la faim d’une grande partie du monde. Bien au contraire.  Nous voyons là dans ce différentiel un ferment quasi naturel de ressentiment et de violence.

Comment un homme peut-il devenir aussi riche ou aussi puissant qu’un état ? Comment l’homme devenu par on ne sait quel miracle un tonton Cristobal aux jaquettes cousues  d’or peut-il prétendre  déambuler en son magnifique attelage  et étaler sa malle aux trésors devant le semblable qu’il croise et qui n’a rien ? Comment peut-il garder la tete haute et sa dignité d’homme ? Comment ? Il nous semble, que,  épargné par le virus de la charité bondieusarde et celui plus dévastateur des grandes visions sotériologiques, l’homme trouve son honneur  dans son combat, à la place où il est,  pour tenter de faire de ce monde un jardin où régneraient un peu d’équilibre et d’harmonie. Disons-le tout net, nous regardons le libéralisme total comme une sauvagerie en col blanc, comme une forme sophistiquée et perverse de la prédation. Nous voyons dans  l’autorégulation à laquelle il prétend postuler une utopie, un mythe – ou pire, un leurre. Il y a un discours lénifiant qui se tient, aussi trompeur qu’une bouffée d’opium.

Dans l’affrontement  social le concept jadis mobilisateur et dérangeant de lutte des classes a été de façon concertée rangé au rayon archéologie, recouvert pudiquement d’un voile tandis que dans les ateliers l’ouvrier ne cotoie presque plus l’ouvrier mais la machine ; que la division des hommes au travail est machiavéliquement organisée ; et que des os à ronger sont jetés qui calment les faims les moins féroces.

C’est au nom d’une  légitimité souvent confortée par les lois du droit public que les profits les plus scandaleux se font. Ainsi perdure un système dans lequel les memes sont juges et arbitres. Et c’est souvent  sur des abus que  ces grands empires aux mains de petites minorités  se construisent. Appropriations, dissimulations, exploitation de main d’œuvre, spéculations, destruction de l’environnement, violations des règles du travail, mépris des normes d’hygiène et de sécurité, abus de position, délits d’initié, chantage à l’emploi etc …L’arrogance des triomphateurs , à y regarder de près, a bien souvent une  obscène figure. Le vol, la confiscation, l’installation arbitraire, l’occupation sont les pratiques courantes de nos systèmes. Mais des cohortes de bricoleurs de la loi drapés dans leurs toges, et des régiments d’avocats véreux édifient forteresses , arcanes et tunnels juridiques, autant de barbelés et d’échappatoires pour passer entre les lignes et  les frontières.

De la subversion des valeurs

Qu’en est-il du mérite ?  Connait-on beaucoup d’hommes qui soient des milliers de fois plus méritants qu’un autre ? L’appat du profit corrompt non seulement le monde des affaires mais aussi les secteurs jusqu’ici réputés les plus nobles : art, presse, pis encore justice et médecine … Ainsi dans les professions de santé les disciplines  à risques sont-elles  aujourd’hui délaissées pour d’autres plus lucratives. L’obstétrique au profit de la chirurgie esthétique par exemple. Au barreau les manœuvres procédurières étouffent le souffle de la conviction ou de l’indignation. Le  deuil se console, les larmes se sèchent au mouchoir de lucratives indemnités. Il n’y a plus de bonnes causes, il y a les causes où l’on encaisse.

Sur leurs plateaux les media dressent de nouvelles idoles. Les représentants du peuple y sont jetés en pature à des bélitres au sourire en céramique ou encore à des vamps vaporeuses dont le décolleté seul pose les questions. Mais le taux d’audience et ses retombées financières font largement oublier ce minuscule détail qu’eut été l’intelligence. Sur les écrans les débats démocratiques  eux-memes se  fendent d’un sourire en tire-lire. Ainsi les repus, les abondants, les arrogants peuvent-ils siéger sur le sofa mou de la crétinerie de masse.

Pendant ce temps à l’échelle mondiale la privatisation du milieu naturel et son exploitation écartent les plus démunis de l’accès aux ressources les plus simples que sont  l’eau, la terre et d’une certaine manière l’air. A la richesse les grands espaces, la fluidité de circulation des capitaux, les longs déplacements, les délocalisations, les désertions et les  grandes pollutions. A l’indigence le cloisonnement derrière les frontières et les camps, à elle les eaux sales, les ventres ballonnés par la faim.

La course à la production et à la puissance motive secrètement les guerres les plus meurtrières et les plus tenaces. Le poids économique des ventes d’armes fait avaler couleuvres et compromissions. La surconsommation sature la planète qui se meurt étouffée par une civilisation rendue folle par sa fuite en avant et devenue celle du déchet.

Si l’histoire nous a montré à quelles mortelles extrémités peut conduire l’étatisation totale et à quel point elle peut servir les ambitions, voire la folie d’un seul homme, la dramatique actualité contemporaine est la preuve que les grands déséquilibres sont source de violences et porteuses de lourdes menaces. La sagesse et la mesure, si ce n’est la générosité, devraient donc prévaloir dans toute grande entreprise humaine. Il est temps de mettre sur pied de nouveaux modèles et de redonner leur prestige à certaines valeurs que nous n’aurions jamais du perdre de vue.

                                                                                              Jean Paul Pouderon

 

 

La part des anges

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